Blitzkrieg à Kôryô!
Episode deux : L'attaque
Fin des cours. Hikaru quitta sa salle de cours pour se rendre
en bibliothèque des lycéens. Elle rayonnait de joie. Car elle
allait passer deux heures en compagnie de Kyôsuke. Juste eux deux. Le
prétexte ? Depuis deux ans il l'aidait à préparer ses partiels.
Elle se remémorait comment elle l'avait attiré autrefois dans
la bibliothèque du collège, et comment elle lui avait souri en
se serrant contre lui. " Kyôsuke, tu es très pédagogue ",
lui avait-elle dit. Et c'est vrai qu'avec son Darling elle comprenait mieux
que jamais ses cours. Sans qu'elle ne s'en rendit compte elle passait insensiblement
du souvenir au rêve. Elle s'imaginait dans un recoin dans la grande bibliothèque
du lycée, seule avec Kyôsuke. Elle le remerciait de l'aider avant
de partir, et enfin il la prenait doucement par la taille, l'attirait tendrement
à elle, et après un furtif coup d'il pour s'assurer que personne
ne les voyait il se penchait pour lui offrir enfin son premier baiser.
Elle revint à la réalité en apercevant son petit chéri
qui lui faisait signe de la main et l'attendait devant l'entrée de la
bibliothèque. A peine entrée Hikaru nota avec dépit que
beaucoup de monde semblait avoir choisi cet après-midi pour réviser
ses partiels. Mais il était possible que la salle se vide avant la fin.
Elle entraîna Kyôsuke jusqu'à une petite rangée de
tables vers le fond, partiellement dissimulée par un rayon de livres.
Même ici il y avait des élèves déjà assis.
*
* *
Ils révisaient le programme de maths des troisièmes depuis une
dizaine de minutes quand Kyôsuke nota que l'adolescente en face de lui
se levait pour quitter la salle. A peine cinq minutes plus tard, il aperçut
Sayuri cherchant visiblement une place. Il espéra qu'elle ne viendrait
pas jusqu'à lui ; comme elle ne semblait pas trouver il adressa mentalement
une prière aux dieux. Mais apparemment cette prière resta sans
effet car ce fut à cette place même en face de lui qu'elle s'installa
finalement, sans un regard pour le jeune homme.
Peu à peu la bibliothèque se vidait, mais Hikaru, Kyôsuke
et Sayuri étaient parmi les plus assidus. A vrai dire ils n'étaient
plus qu'eux trois dans la rangée, et il ne restait plus qu'un quart d'heure
avant la fermeture de la bibliothèque. Hikaru se leva en disant:
" Je reviens tout de suite, Darling ! "
A peine eut-elle tourné le dos que Sayuri se fendit d'un grand sourire
à destination de Kyôsuke :
" Je souhaite te parler tout à l'heure. Est-ce possible ? "
Surpris Kasuga resta interloqué juste le temps nécessaire à
Sayuri pour reprendre la parole :
" Alors disons à 17h30 à l'Abcb ?
- Hé, non, ça ne vas pas…
- Ah , oui, il y a Ayukawa ?
- Non, ce n'est pas ça " fit Kyôsuke, rouge comme une pivoine.
- Alors au Birth, tu vois où il est ? "
Le Birth était le plus proche café du lycée, aussi Kyôsuke
put-t-il répondre :
" Bien sûr !
- Alors, à tantôt ! "
Sayuri se levait déjà pour partir, et Kasuga eut l'impression
qu'elle avait décidé à sa place, mais il n'y avait déjà
plus rien à faire.
Hikaru revint enfin, et ne fut pas peu surprise de voir son Kyôsuke tout troublé. Comme rien ne justifiait ce changement elle lui demanda ce qu'il y avait, mais il lui répondit avec empressement qu'il rêvait sans plus. Ils se replongèrent dans les fonctions affines avec entrain.
*
* *
Dix minutes plus tard le surveillant passa pour les prévenir que la
bibliothèque allait fermer. C'était l'instant que Hikaru attendait
depuis des heures. Avec un lenteur calculée elle rangea ses affaires,
si bien que quand elle eut fini Kyôsuke et elle se trouvèrent seuls
dans cette partie de la bibliothèque. Elle lui offrit alors son sourire
le plus charmant :
" Merci, Kyôsuke-senpai " susurra-t-elle d'une voix feutrée.
Le jeune homme la regarda, surpris.
Ça y est, elle veut encore que je l'embrasse… mais je ne peux pas,
surtout que c'est peut-être cela qui me ferait perdre Ayukawa. Si elle
venait à l'apprendre… et elle l'apprendrait forcément, puisque
Hikaru le lui dirait elle-même. Pauvre Hikaru ! Si seulement…
" Et bien, Kyôsuke, tu dors ? "
Il y avait une nuance de colère, et une teinte de déception dans
la voix de Hikaru alors qu'elle prenait le chemin de la sortie. Kyôsuke
comprit qu'il avait encore blessé la jeune fille. Il s'en voulut.
Kyôsuke n'avait pas le temps de rentrer chez lui avant d'aller au Birth,
aussi décida-t-il d'y aller directement, quand bien même cela lui
donnerait quinze minutes d'avance sur l'heure du rendez-vous.
Chemin faisant il eut un doute affreux. Il se rappelait comment Ayukawa l'avait
menacé s'il rendait Hikaru malheureuse. A vrai dire c'est à cause
de cette attitude deux ans auparavant de la " grande sur " qu'il n'avait
pas osé avouer la vérité à Hikaru. Il avait trop
peur de perdre les deux en même temps. Choisir Hikaru c'était perdre
Ayukawa, mais choisir Ayukawa, c'était sans doute perdre Hikaru et par
ricochet Ayukawa…
Mais combien de temps encore Hikaru accepterait-elle de rester dans cette situation…
lui avoir refusé un baiser durant deux ans devait l'avoir blessée
au fond d'elle, et un jour elle se lasserait d'attendre. D'ailleurs elle semblait
irritée tout à l'heure. Si son rêve lui avait été
envoyé pour l'avertir qu'il allait tout perdre pour n'avoir rien choisi
? Dans ce cas son comportement de ce soir aurait été catastrophique.
Mais on en revenait toujours au même problème, comment ne pas blesser
Hikaru ?
*
* *
Un verre de Coca devant lui Kasuga attendait Sayuri. Tout préoccupé
par sa bourde de tout à l'heure il ne se demandait même pas ce
que pouvait bien lui vouloir la jeune femme. D'un coup elle apparut. D'un il
distrait il constata qu'elle s'était changée. Lorsqu'elle se défit
de son pardessus crème il nota qu'elle portait un pantalon de velours
de couleur crème et un tee-shirt aux rayures jaunes, vertes et brunes.
Les rayures soulignaient admirablement le galbe de sa poitrine et cela le fit
sortir en un instant de ses pensées… il n'avait jamais vu Sayuri comme
cela. En fait il ne l'avait jamais vue, il s'en rendait compte maintenant.
En s'asseyant l'adolescente leva un bras pour attirer à elle l'attention
du garçon et quand il vint à sa hauteur elle lui demanda un coca. Elle
se tourna alors vers Kasuga :
" Merci d'être venu, Kasuga-kun ! "
Kasuga sourit sans répondre, aussi poursuivit-elle :
" Tu m'attends depuis longtemps ?
- Non, ça va. " Kyôsuke semblait incapable de détourner
son regard de la poitrine de la jeune femme.
" Charmante la jeune collégienne avec qui tu étais. C'est ta petite
amie ?
- N.. non, " fit Kasuga, sentant la chaleur affluer à ses joues : il
rougissait.
" C'est vrai, ça ? " Sayuri souriait malicieusement. Il était évident
qu'elle n'était pas du même avis que Kyôsuke.
Un temps passa sans qu'aucun d'eux ne parle. Kasuga se dit alors qu'il ferait
bien de se dépêcher de finir son coca pour rentrer chez lui.
Mais Sayuri n'avait pas fini de lui parler :
" Tu sais je l'ai vue au bras d'un étudiant l'autre jour. "
Sa voix s'était faite feutrée, elle susurrait plus qu'elle ne disait.
Visiblement cette information ne concernait que Kasuga. Ce dernier ne pouvait
pas ne pas réagir.
" Hein ? Ce n'est pas possible !
- Si je te le dis…
- Non, Hikaru ne ferait jamais ça ! Et puis elle était comme d'habitude
aujourd'hui.
- Qui parle de Hikaru ?
- Mais qui alors ?
- Je ne sais pas si je dois te le dire finalement. " Les yeux de Sayuri rayonnaient
de plaisir contenu. Voir le jeune homme bouillir d'impatience l'amusait beaucoup.
D'autant qu'il devait bien penser à quelque chose, maintenant. Quelque
chose qui allait distendre un peu ses relations avec cette maudite Ayukawa…
" Dis-le moi, tu en as trop dit, maintenant ! " gronda Kyôsuke.
Sayuri tourna posément la tête de droite à gauche pour manifester
à Kasuga que son attitude dérangeait les autres clients. Le jeune
homme se tut aussitôt, et baissa les yeux comme un enfant fautif. Sayuri
se leva alors, fit le tour de la table et s'assit à sa droite. Il la
contempla stupéfait, l'air ahuri, incapable ni d'agir ni de parler. Elle
se pencha alors vers son oreille et lui chuchota :
" Tu sais de qui je parle, n'est-ce pas ? "
Kyôsuke pensait bien ne savoir que trop de qui parlait Sayuri. Depuis
deux ans il n'avait cessé d'être hanté par des images d'hommes
inconnus enlaçant par la taille Ayukawa. Il voyait des faces informes
se pencher sur les lèvres d'Ayukawa. Il l'imaginait se dévêtant
et révélant un corps parfait à un autre que lui. Les images
défilaient à nouveau devant ses yeux. Ses traits se firent désespérés.
Le jeune homme passait par les affres de la jalousie impuissante. Un coup d'il
suffit à Sayuri pour comprendre qu'il recevait de plein fouet un coup
dont il aurait du mal à se remettre. En un autre temps elle aurait porté
l'estocade à ce moment-là. Mais d'une part ils étaient
trop près du bahut pour qu'elle s'y risque, et de l'autre elle savait
que ce jeune homme, même déstabilisé et bouleversé
comme maintenant, était susceptible de lui résister encore. Il
fallait qu'il cherche à constater l'étendue des dégâts
quelques temps avant de tomber tout cuit. Il fallait qu'il se brouille avec
Ayukawa. Aussi se leva-t-elle, le regard faussement empli de compassion, sourit-elle
à Kasuga et s'en alla-t-elle. Elle ne dit rien, mais il n'aurait rien
entendu. Elle pensait même qu'il ne s'était pas rendu compte qu'elle
s'en allait.
*
* *
18h05. Cela faisait vingt-cinq minutes maintenant que Kasuga restait sans bouger,
hagard. Enfin le garçon s'approcha de lui.
" Est-ce que vous vous sentez bien, Monsieur ?
- O… Oui, ça va, merci. Euh, l'addition, s'il vous plaît ?
- Je vous l'apporte. "
Le garçon était visiblement soulagé que Kasuga se soit
réveillé. Quand il revint Kasuga semblait effectivement bien aller,
aussi n'y pensa-t-il plus.
Mais en fait Kasuga était au plus mal. Si physiquement tout allait pour
le mieux, ce qui lui avait permis de paraître être bien, son cur
et son âme saignaient si profondément qu'il avait cru s'être
évanoui quand le garçon l'avait sorti de sa torpeur. Maintenant
il lui fallait rentrer car il était tard déjà, et ses proches
pourraient finir par s'inquiéter. Mais il se demandait si cela valait
la peine. A quoi bon même vivre si Ayukawa était à un autre
? Pourquoi ne lui avait-il pas ouvert son cur quand il était encore
temps ? Elle l'aurait peut-être mal pris, mais au moins il n'aurait pas
conservé l'illusion pendant ces deux années de perdues. Oui, il
aurait mieux valu être tout de suite fixé plutôt que d'avoir
perdu sans rien avoir tenté.
Ses sentiments ne s'étaient certes pas améliorés quand
il arriva au bas de chez lui. La mine déconfite il partit directement
vers sa chambre, sans un mot, et se jeta sur son lit. Le choc était tel
que même sa ballade ne lui avait pas permis de s'en remettre. Allongé
le visage dans l'oreiller, seul dans le noir il se laissa aller. Ses larmes
coulèrent et coulèrent encore, mais si grand était son
désarroi que cela ne le soulageait même pas. Enfin après
une dizaine de minutes les larmes se tarirent. Il se sentait un peu mieux, après
avoir vidé le plus gros de son désespoir. Mais il eut honte de
s'être laissé aller à un tel acte. Cela n'était pas
très viril… il ne pouvait s'empêcher de frémir à
ce qu'en dirait Kurumi si elle apprenait qu'il se comportait comme une héroïne
de shôjo… penser à ce que dirait Kurumi dans cette situation,
c'est que tout n'allait pas si mal. Mais tout à l'heure il lui faudrait
aller à l'Abcb, retrouver Ayukawa pour préparer les partiels.
Il n'était vraiment pas sûr de le vouloir. Mais il fallait aussi
tirer tout cela au clair.
Enfin il se décida à sortir de sa chambre. Il aurait voulu qu'aucune
de ses surs ne soit là ce soir, mais tout n'allait pas comme il
le voulait.
*
* *
Lorsque son frère émergea de sa chambre Manami ne put s'empêcher
de hoqueter de surprise. Elle l'avait déjà vu particulièrement
déconfit, d'humeur très sombre, comme supportant tout le désespoir
du monde. Mais là il avait encore franchi un palier. Elle s'inquiétait
vivement du manque de ressort de son frère. Il manquait d'opiniâtreté,
lâchant trop souvent prise à la moindre contrariété.
L'espoir n'était pas son allié.
Cette fois il avait dû recevoir un très rude coup. Ses yeux rougis
témoignaient clairement de ce qu'il venait de faire dans le cocon de
sa chambre éteinte… dans ces moments-là seule la présence
d'une mère aurait pu lui apporter du réconfort, mais leur mère
était morte voilà quatorze ans maintenant, laissant trois orphelins
derrière elle. Et elle n'avait pas le temps de réconforter son
frère aîné en préparant le repas… quant à
Kurumi, inutile d'y penser, elle rirait de Kyôsuke.
En soupirant elle s'approcha malgré tout de Kyôsuke.
" Oniichan ? " Sa voix s'était faite douce comme pour réconforter
un enfant. Kyôsuke gardait la tête baissée.
Oh là là, ce doit être terrible cette fois.
" Qu'est-ce qui ne va pas ? " s'enquit-elle.
Kyôsuke grimaça, sans rien dire.
" Tu sais, si tu te tais et laisse ton chagrin en toi, il ne te quittera pas.
"
Toujours pas de réponse, mais Kyôsuke plongea son regard dans celui
de sa sur. Elle y vit un océan de douleur.
Vraiment terrible.
" C'est Hikaru-chan ?
- Non ! " Cette courte réponse constitua les premiers sons qu'émit
le jeune homme depuis qu'il était rentré. Manami fut surprise
de la sécheresse de la réponse. Il ne restait plus qu'une solution…
mais elle ne pouvait pas aborder directement le problème, il valait mieux
aller à la pêche aux informations indirectement.
" Tu vas travailler ce soir ? "
Kyôsuke fit une grimace pouvant signifier qu'il se le demandait lui-même.
" Je reviens " fit Manami, retournant à la cuisine. Elle se mit à
craindre pour le repas du soir, car Kyôsuke semblait vraiment s'être
noyé dans son désespoir.
Pendant ce temps l'adolescent reprit le fil de sa réflexion, et la sollicitude
de sa sur lui permit de se sentir mieux.
Non, cela ne va pas, je ne peux pas continuer à inquiéter Manami
comme ça. Il faut que je me ressaisisse. Je ne dois pas rendre cette
maison lugubre, ce n'est pas de leur faute si j'ai perdu Ayukawa. Il est préférable
qu'ils croient qu'il ne s'agit que d'un découragement temporaire, sans
plus.
Pour cela je dois aller à l'Abcb ce soir, même si ce n'est que
pour travailler. Je ne dois pas faire souffrir tout le monde égoïstement.
Lorsqu'elle revint dans le living Manami fut surprise de voir que son frère
paraissait avoir retrouvé de l'allant. Elle n'avait pas appris grand
chose si ce n'est que ce devait être une brouille avec Madoka. Mais il
semblait qu'elle avait quand même réussi à le réconforter.
En l'entendant revenir Kyôsuke tourna la tête pour lui sourire :
" Merci Manami-chan, de m'avoir aidé. Ça fait du bien !
" Il sentait que quelque chose sonnait faux dans ce qu'il disait, mais Manami
fit mine de le croire.
*
* *
C'est d'un pas mal assuré, presque en traînant les pieds que
Kasuga prit le chemin de l'Abcb. Il avait hâte de tirer les choses au
clair, mais il redoutait ce qu'il allait sans doute apprendre. Aussi ne se pressait-il
pas, comme pour garder le plus longtemps possible ses illusions. Mais tout chemin
même pris comme à regret a une fin et il se trouva face à la porte
du café. Il resta là quelques instants, hésitant. Ne pas
entrer, ce serait ne pas avoir définitivement perdu Ayukawa, ce serait
conserver l'espoir… mais s'il était venu jusque là c'était
justement pour savoir.
Inspirant à fond pour se donner du courage il prit la poignée
de la porte et entra. Ayukawa servait seule ce soir, et les clients n'étaient
pas très nombreux. Il choisit une table dans l'angle du café,
et attendit qu'Ayukawa vienne.
Tiens, qu'est-ce qu'il a Kasuga ? D'habitude il vient au comptoir.
Intriguée Ayukawa vint à lui :
" Monsieur, qu'est-ce que ce sera ? " Un sourire illuminait le visage de Madoka,
mais Kasuga n'entendit que le " Monsieur ", ce qui le confirma dans toute ses
craintes. Il balbutia :
" U… Un café, s'il vous plaît. "
Vous ?
" Tout de suite ! "
Tout en préparant le café Madoka se demandait ce qui était
survenu pour que Kasuga fût aussi distant. Toute à ses pensées
elle faillit faire déborder la tasse, mais se reprit juste à temps.
En attendant qu'Ayukawa apportât son café, Kasuga avait sorti un
livre d'anglais, un cahier et un stylo. Quant elle le lui donna, elle lui sourit
:
" Quelques minutes et je viens t'aider. "
Ce sourire rendit confiance au jeune homme. Peut-être ne l'avait-elle
pas abandonné ?
Mais non, cela n'a aucun sens, nous n'avons jamais été ensembles.
Il n'y a aucune raison qu'elle change de comportement envers moi si elle a un
petit ami…
*
* *
Plus tard dans la soirée le téléphone
sonna.
" Excuse-moi, mais je dois y aller " dit Madoka, se levant.
Kasuga vit la silhouette si familière de la jeune femme s'éloigner
de lui et passer derrière le comptoir pour décrocher le combiné.
La conversation s'éternisait.
Qui cela peut-il bien être ? Ce n'est quand même pas Lui ? En tout
cas ce coup de fil semble lui faire vraiment plaisir. Qu'est-ce que je peux
bien faire ?
Quelques minutes plus tard elle raccrocha et revint à la table qu'avait
choisie Kasuga.
" Est-ce que ça va, Kasuga ? " Son ton était empli d'inquiétude.
" Mmm… oui, bien sûr " Kasuga se demandait si elle le croirait.
" Tu es sûr ? Tu es bien pâle… "
Kasuga eut envie de poser la question qui lui brûlait les lèvres
depuis qu'il avait franchi la porte de l'Abcb. Mais quelque chose le retenait
encore. Il ne voulait pas tout gâcher maintenant. En fait il ne savait
pas encore comment réagir selon ce qu'elle lui répondrait. Il
lui fallait encore du temps. Pourtant il savait que cela n'avait aucun sens,
et que cela ne pourrait finalement que le faire souffrir plus longtemps.
Finalement il se lança : " Ayukawa ?
- Oui ? " répondit-elle en tournant la tête vers lui.
Kasuga détourna alors son regard et dit piteusement : " Euh, non, rien…
"
La jeune fille le regarda avec attention, comme s'il avait attrapé quelque
chose. Kasuga se maudit de sa lâcheté. Face aux splendides yeux émeraude
de Madoka il avait une nouvelle fois fui, refusant d'assumer ses responsabilités.
Pourtant il avait répété des dizaines de fois en rêve
cette scène où, plongeant ses yeux dans ceux d'Ayukawa, il mettrait
leur relation au clair. Mais jamais il n'avait pu se résoudre à
passer à l'action.
" C'était qui tout à l'heure ? "
Il ne l'avait pas regardée, il fixait son cahier, comme honteux de poser
une telle question. Elle le regarda, surprise.
Elle n'appréciait pas beaucoup que l'on se mêle de ses affaires,
et Kasuga le savait bien.
" Personne. "
Kasuga releva la tête, son visage reflétait l'insatisfaction que
lui procurait cette réponse.
" Allez, dis-le ! "
Madoka n'aimait pas beaucoup qu'on la force ainsi. Si elle ne souhaitait pas
le dire, elle ne le souhaitait pas.
" Qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Euh, rien, rien du tout "
Et voilà, j'ai encore reculé… je n'arriverai jamais à
rien avec elle.
*
* *
Vingt-deux heures trente, l'Abcb fermait maintenant. Kasuga
revint à la charge.
" Dis-moi, c'était qui tout à l'heure ? "
La jeune femme fut impressionnée par le regard du jeune homme. Il avait
quelque chose de décidé. Cette fois Kasuga voulait sa réponse.
C'était une situation dangereuse, car elle savait que quand il avait vraiment
décidé quelque chose il dégageait de lui un tel charisme
qu'elle avait du mal à lui résister. Mais elle lui avait déjà
répondu, aussi se fit-elle violence pour le rembarrer :
" Ça ne te regarde pas !
- Si, je veux savoir ! " Son ton s'était fait impéérieux.
" Pourquoi veux-tu savoir, d'abord ? "
Il hésita… à la faible lumière du réverbère
elle crut le voir rougir.
" Ah, c'est ça ? Kasuga-sama est jaloux ! "
Kyôsuke blêmit sous l'insulte. Il perdit en assurance, et gagna
en désespoir :
" Je-veux-sa-voir " scanda-t-il.
" Non ! "
Elle lui tourna le dos pour s'en aller. Il la rattrapa, et la força à
pivoter. Sans prendre en compte son regard menaçant.
" Si ! "
Le geste partit. Plus rapide que l'éclair. Madoka l'avait giflé
! Il se massa la joue, incrédule.
" J'attendais mieux de toi qu'un crise de jalousie, Kasuga "
Elle lui tourna le dos et s'en alla, le laissant stupéfait.